
Serkan Aktaş est un réalisateur primé et l’une des voix les plus reconnues du cinéma turc, connu pour son approche distinctive de la narration et son exploration de thèmes philosophiques. Passionné par la fantasy et la science-fiction, les films d’Aktaş allient profondeur intellectuelle et résonance émotionnelle. Sa filmographie comprend des œuvres notables telles que The Librarian (2022), Mirrorty (2017) et Resurrection Under the Ocean (2021), qui ont toutes récolté de nombreux prix dans des festivals de cinéma à travers le monde.
Aktaş est titulaire de diplômes en gestion des affaires de l’Université d’Anadolu et en mathématiques de l’Université de Dokuz Eylül, et il a perfectionné son art à l’Académie du cinéma d’Istanbul. Il a également obtenu une maîtrise et un doctorat en cinéma et télévision de l’Université de Beykent. Ses films se caractérisent par leurs récits complexes et leurs sous-textes philosophiques, reflétant souvent ses intérêts pour les mathématiques abstraites, la mécanique quantique, la métaphysique et le soufisme.
En plus de son travail de cinéaste, Aktaş est également auteur, ayant publié des livres basés sur ses films, dont The Librarian (2023) et Mirrorty (2023). Son travail continue de repousser les frontières, mélangeant la narration traditionnelle avec le potentiel des technologies modernes. Il est passionné par l’idée de rendre le cinéma plus accessible aux cinéastes émergents, notamment par l’intégration de l’intelligence artificielle et d’autres technologies émergentes.
Dans cette interview, nous explorons l’approche unique de Serkan Aktaş en matière de cinéma, en discutant de son processus créatif, de sa perspective sur le cinéma turc et de ses réflexions sur l’avenir de la narration dans une industrie en évolution. Lisez la suite pour en savoir plus sur l’homme derrière ces films primés.
Votre filmographie couvre une large gamme de genres, de The Librarian à Resurrection Under the Ocean. Qu’est-ce qui vous pousse à explorer de tels mondes divers, et comment choisissez-vous vos projets ?
Ce qui me motive, c’est la quête d’explorer et de refléter l’expérience humaine dans toute sa complexité. J’ai toujours été fasciné par l’intersection de la curiosité intellectuelle et de la profondeur émotionnelle, et mes films sont un moyen pour moi de fusionner ces éléments. Chaque projet que je choisis a une histoire unique à raconter, souvent ancrée dans mes propres observations du monde qui m’entoure.
Par exemple, The Librarian a été inspiré par une combinaison d’expériences personnelles et de mes études académiques. Pendant mon travail doctoral, j’ai pris conscience des changements sociopolitiques qui se produisaient autour de moi, en particulier l’impact des réfugiés syriens en Turquie. La solitude et l’isolement du protagoniste de The Librarian reflétaient les luttes que beaucoup rencontrent dans un monde en rapide évolution. En revanche, Resurrection Under the Ocean provient d’une scène qui n’avait pas fait partie de The Librarian, mais le concept de renaissance et de transformation était trop puissant pour être abandonné. Il semblait que la scène avait une vie propre à vivre, alors je l’ai transformée en quelque chose de plus grand, et elle est devenue son propre film. D’une certaine manière, c’est un exemple parfait de la façon dont une narration peut émerger des cendres de quelque chose d’autre.
Je choisis mes projets en fonction de leur capacité à me challenger créativement et intellectuellement, mais aussi de la manière dont ils s’alignent avec ma passion pour la fantasy, la science-fiction, et l’exploration de thèmes profonds comme l’identité, la culture et la résilience humaine. La diversité que vous voyez dans mes films n’est pas tant intentionnelle qu’elle ne découle naturellement des idées variées qui résonnent en moi et des questions diverses que je cherche à résoudre à travers mon travail.
En fin de compte, mes films ne sont pas seulement là pour raconter des histoires ; ils visent à comprendre le monde, à examiner la condition humaine et, comme je le dis souvent, « trouver des solutions aux problèmes non résolus du monde réel » à travers le prisme du cinéma.
Vous abordez des thèmes profonds et parfois philosophiques. D’où viennent vos inspirations pour ces sujets, et comment les traduisez-vous visuellement à l’écran ?
Mes inspirations viennent d’une combinaison d’explorations intellectuelles et d’une profonde curiosité pour la condition humaine. Dès le début de mon parcours cinématographique, j’ai toujours cherché à répondre à des questions que je trouve profondément philosophiques : des questions sur l’identité, l’existence et la manière dont nous nous relions au monde qui nous entoure. Ces idées émergent souvent de mon bagage académique en mathématiques, physique et philosophie, ainsi que de mes réflexions personnelles sur le monde.
Par exemple, dans The Librarian, je voulais explorer l’idée de la langue et de l’identité face aux changements sociaux. J’ai été inspiré par l’isolement et l’aliénation que beaucoup de gens ressentent dans le monde moderne, en particulier dans le contexte des changements sociopolitiques de la Turquie. J’ai utilisé la mer comme une métaphore puissante pour représenter la lutte intérieure du protagoniste et sa quête de liberté. Visuellement, j’ai voulu que la mer semble vaste et accablante, mais aussi pleine d’espoir, symbolisant à la fois la profondeur émotionnelle du protagoniste et son désir de paix au milieu du chaos.
Dans Resurrection Under the Ocean, le thème de la renaissance psychologique s’est incarné à travers la métaphore de la résurrection. Je l’ai traduit par l’imagerie de l’océan — un lieu qui peut vous engloutir, mais aussi être la source de votre renaissance. L’imagerie de l’océan n’est pas simplement un espace physique, mais représente la profondeur émotionnelle et psychologique. Je voulais que le public ressente le poids de la lutte intérieure du personnage et sa montée éventuelle des profondeurs, pas seulement physiquement, mais aussi émotionnellement.
Mirrorty a été profondément inspiré par les théories psychanalytiques, notamment le concept de « stade du miroir » de Lacan. Je voulais explorer comment la technologie, notamment à travers les miroirs comme les smartphones et les ordinateurs, reflète notre sens de soi. Le parcours du protagoniste est un reflet de la manière dont la technologie moderne nous aligne avec la réalité. J’ai utilisé les miroirs noirs de nos appareils numériques pour symboliser cette aliénation, la traduisant visuellement en créant un environnement presque oppressant, où les frontières entre la réalité et le monde virtuel se brouillent.
Pour moi, les métaphores visuelles dans chacun de ces films ne sont pas simplement des ornementations, mais des éléments clés pour communiquer les thèmes. Chaque symbole — que ce soit la mer, l’océan ou les miroirs noirs — sert de point d’ancrage visuel qui aide le public à se connecter aux questions philosophiques et psychologiques profondes explorées. Le défi est de trouver la bonne représentation visuelle pour chaque concept et de veiller à ce qu’elle soit intégrée harmonieusement à l’histoire.
En tant que réalisateur et scénariste, quel est votre processus créatif ? Travaillez-vous d’abord sur le script avant de penser aux visuels, ou le concept visuel influence-t-il l’histoire dès le départ ?
Pour moi, l’histoire vient toujours en premier. La structure dramatique est essentielle et constitue la base sur laquelle tout le reste est construit. Je dis toujours : « Lisez tous les jours, regardez tous les jours, écrivez tous les jours, puis faites votre film. » Cette citation résume mon approche : plus vous vous immergez dans différentes histoires, idées et expériences, plus vous pouvez affiner la vôtre. Chaque jour est un processus d’apprentissage, et plus j’ai d’input, plus je peux produire d’output. Cette pratique constante façonne la manière dont j’écris et pense le cinéma.
Quand je commence un projet, je me concentre sur la recherche de la bonne histoire — le cœur de celle-ci. Je commence par travailler sur l’histoire, cherchant l’essence de la narration. Je passe beaucoup de temps ici parce qu’une histoire solide et puissante est la clé pour construire un script captivant et significatif. Une fois que j’ai trouvé la meilleure histoire, je commence à développer le script lui-même. C’est là que le diable se cache dans les détails. Je ne peux pas me permettre de manquer aucun élément de l’histoire, et je veille à considérer chaque option, chaque paramètre et chaque alternative que la narration pourrait prendre. Plus la structure est minutieuse et précise, plus le script sera solide.
Ce n’est qu’une fois le script solidifié que je commence à penser aux visuels. Bien sûr, les visuels sont cruciaux pour raconter l’histoire, mais ils sont toujours secondaires par rapport à la narration. Les visuels doivent servir l’histoire et approfondir la résonance émotionnelle de ce qui se passe. Ils entrent en jeu quand je suis prêt à donner vie aux mots écrits. Je veux que le concept visuel renforce les thèmes et les moments émotionnels du script, mais l’histoire reste toujours au centre de mon processus.
Cette approche détaillée et réfléchie me permet de développer une vision complète du film, où chaque élément — que ce soit le dialogue, les arcs des personnages ou la cinématographie — fonctionne en harmonie. Mon objectif est toujours de m’assurer que le script soit aussi solide que possible avant de passer au développement visuel. Une fois que cette base est posée, tout le reste s’intègre plus naturellement.
L’industrie cinématographique a changé de manière spectaculaire ces dernières années, notamment avec l’essor des plateformes de streaming et des technologies comme la réalité virtuelle. Comment ces changements ont-ils influencé votre travail, et comment voyez-vous l’avenir du cinéma dans ce nouveau contexte ?
L’industrie du cinéma subit une transformation profonde, et l’essor des plateformes de streaming et des technologies émergentes comme la réalité virtuelle (RV) a modifié de manière dramatique la façon dont nous créons et consommons des films. En tant que cinéaste, j’ai vu la puissance des plateformes de streaming pour rendre les films plus accessibles à un public mondial. Des films qui étaient auparavant limités à une région géographique ou un public de niche peuvent maintenant toucher des millions de spectateurs à travers le monde. Cette démocratisation de la distribution des films est excitante car elle permet à des voix et des histoires plus diverses d’être entendues.
En même temps, la réalité virtuelle et d’autres technologies avancées repoussent les limites de la narration elle-même. La RV offre une expérience immersive nouvelle que le cinéma traditionnel ne peut pas reproduire. Elle nous pousse à repenser la manière dont nous nous connectons avec le public, offrant une forme de cinéma plus interactive et participative. Bien que j’explore encore comment ces technologies pourraient s’intégrer dans mon travail, je vois leur potentiel pour créer des façons totalement nouvelles de raconter des histoires — quelque chose qui m’enthousiasme pour l’avenir.
Cependant, ce sont les avancées technologiques dans les outils de réalisation, en particulier l’IA, qui me passionnent le plus. En tant que cinéaste indépendant, l’un des plus grands défis a toujours été les contraintes financières et les coûts élevés de production d’un film. Mais je crois qu’à l’avenir, l’IA et d’autres technologies émergentes permettront de réduire ces barrières, rendant la réalisation de films de qualité plus accessible à tous. Écrire des histoires et des scénarios restera toujours essentiel, et avec l’IA et les nouveaux outils, les cinéastes pourront créer des visuels époustouflants, enrichir la narration et même simplifier le processus de post-production — tout cela avec des budgets plus réduits. Cela pourrait ouvrir la porte à une nouvelle génération de raconteurs d’histoires pour donner vie à leurs visions créatives.
À l’avenir, le cinéma semble se diriger vers une plus grande interactivité et personnalisation. Avec le rôle croissant de l’IA, nous pourrions voir des films qui s’adaptent aux préférences individuelles des spectateurs, créant des expériences plus sur mesure. Mais quel que soit la technologie ou la plateforme, je suis fermement convaincu que l’essence du cinéma réside dans la création d’histoires et de scénarios originaux qui résonnent avec le public. Les outils peuvent évoluer, mais le cœur du cinéma reste la connexion émotionnelle entre le narrateur et l’audience. C’est pourquoi nous devons continuer : « Lisez tous les jours, regardez tous les jours, écrivez tous les jours, et puis faites nos films. »
Avec la mondialisation croissante du cinéma, comment voyez-vous l’évolution du cinéma turc sur la scène internationale ? Quelles sont, selon vous, les forces distinctives du cinéma turc aujourd’hui ?
La tradition narrative turque possède une riche histoire ancrée dans la culture narrative profonde du pays, façonnée depuis longtemps par des histoires, des contes, des légendes et des traditions orales. Des réalisateurs comme Ertem Eğilmez et Yavuz Turgul ont puisé dans cette source de narration pour créer des œuvres intemporelles qui ont ouvert la voie à nous. Ces cinéastes comprenaient l’importance de la structure dramatique et de la création d’histoires qui résonnent profondément avec le public. Des films comme Hababam Sınıfı, Süt Kardeşler, Şaban Oğlu Şaban, Eşkiya et Muhsin Bey ont traversé les âges. La force de ces films réside dans leur capacité à être regardés encore et encore. Le meilleur film est celui qu’on peut regarder sans cesse, et c’est ce genre de cinéma que nous devons continuer à produire en Turquie.
Pour que le cinéma turc continue d’évoluer et d’atteindre une plus grande reconnaissance internationale, il est essentiel que nous, en tant que cinéastes, nous concentrions sur la création d’histoires significatives. Nos histoires, enracinées dans le cœur de la culture turque, abordent des thèmes universels d’amour, de perte et d’identité qui touchent les publics du monde entier. Ce qui aidera le cinéma turc à prospérer à l’échelle mondiale, c’est notre capacité à créer des narrations qui laissent un impact durable. Il s’agit de créer des films qui restent avec le public, l’encourageant à revenir et à s’engager avec l’histoire encore et encore.
Aux cinéastes en herbe de Turquie, je dis toujours : « Lisez tous les jours, regardez tous les jours, écrivez tous les jours, puis faites votre film. » C’est la clé de la croissance. Plus vous avez d’input, plus vous pouvez créer de l’output. Il n’y a pas de mauvais écrivain — il n’y a que des écrivains paresseux. Le vrai travail réside dans l’amélioration constante de son art, l’élargissement de ses connaissances et l’engagement. Si vous adoptez cet état d’esprit, le cinéma turc continuera de croître et d’évoluer, atteignant de nouveaux sommets localement et mondialement.
Alors, bâtissons sur la solide fondation des cinéastes avant nous et continuons à raconter des histoires qui comptent — des histoires qui peuvent résister à l’épreuve du temps. En respectant l’essence de notre cinéma tout en embrassant l’avenir, nous pouvons faire des films turcs inoubliables sur la scène mondiale.
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