L’album « Vocal Works » de Brian Field subjugue par sa diversité vocale

« Vocal Works » est une compilation de pièces musicales du compositeur américain Brian Field dans lesquelles la voix humaine tient le premier rôle. Avec une longue liste d’interprètes, l’album comprend un large éventail d’œuvres et d’instrumentations. Dans les six pièces composant l’album s’alternent avec brio cycles de chansons dramatiques avec accompagnement orchestral, musique chorale intime a capella, arrangements de mélodies traditionnelles, chansons inspirées de Broadway et même un cycle de chansons avec piano.

La première composition de l’album, intitulé « By and by », est interprété par Le Chœur de Budapest dirigé par Martón Tóth. Il s’agit d’une pièce pour chœur a capella inspiré d’un hymne de Charles Albert Tindley. Les chanteurs offrent une version raffinée et moderne du gospel classique. On reconnaît la main de maître du chef d’orchestre dans la préparation de l’œuvre par l’extraordinaire travail d’interprétation du chœur concernant le timbre voilé de l’émission vocale, qui diffère grandement de celui d’un chœur traditionnel de musique d’art européen.

La deuxième œuvre de l’album – « Tres canciones de amor » (Trois chansons d’amour) – est un cycle de chansons pour ténor et orchestre composé de trois pièces intitulées Plena mujer, manzana carnal (Femme pleine, pomme charnelle), Tengo hambre de tu boca (J’ai envie de ta bouche) et Cuando yo muera (Quand je mourrai). Il s’agit de trois poèmes tirés de l’anthologie poétique de Pablo Neruda « Cien sonetos de amor » (cent sonnets d’amour). La mise en musique de ces œuvres par Brian Field révèle une facette de son esthétique compositionnelle qui, à la différence du titre d’ouverture de l’album, plonge dans les profondeurs du post-romantisme. Les trois poèmes forment un ensemble cohérent à travers lequel se crée une toile dramatique logique.

Péter Illényi et l’Orchestre de la Philharmonie nationale hongroise livrent une lecture époustouflante du cycle, dans laquelle l’extraordinaire orchestration de Field se distingue par une partie intrinsèque du drame musical. Peut-être cette interprétation, plus que toute autre, démontre-t-elle l’importance d’un chef d’orchestre attentif aux détails et d’un ensemble réactif, capable d’assurer une prestation technique et musicale appropriée. Rares sont les enregistrements d’œuvres nouvelles ou de pièces n’appartenant pas au répertoire classique qui atteignent des niveaux de qualité aussi élevés en termes de rigueur et de subtilité de l’ensemble. Dans cette œuvre, l’orchestre tient un rôle de protagoniste et est, tout autant que le chanteur, responsable de la rotation des rouages dramatiques.

Concernant le ténor soliste Yanis Benabdallah, sa maîtrise de la langue espagnole est exceptionnelle pour un locuteur non natif. En outre, son interprétation du texte musical fait participer les auditeurs à la profondeur émotionnelle et psychologique du texte de Neruda.

Chacune des trois chansons est unique et se distingue par ses propres facettes. La première, Plena mujer, manzana carnal, est la plus expressionniste des trois, avec une large gamme dynamique et un emploi généralisé de la dissonance. La deuxième chanson, Tengo hambre de tu boca, démontre une forte présence vocale dans un style déclamatoire avec peu d’interventions orchestrales. Quant à la dernière chanson, elle est sans contexte la plus ouvertement opératique notamment par ses fugaces références à Wagner, Strauss et même Puccini. Il s’agit d’un morceau puissamment lyrique qui place Yanis Benabdallah sous les feux de la rampe ; il livre d’ailleurs une performance extraordinaire, pleine de passion et de délicatesse.

Après l’apogée émotionnelle presque wagnérienne de Cuando yo muera de Neruda, le morceau suivant, Let’s Build a Wall ! (Une satire américaine), dont les paroles et la musique sont composées par Brian Field, représente un autre contraste stylistique frappant qui, à ce stade, peut déjà être considéré comme la norme. Cette pièce est composée pour ténor et un ensemble de chambre. Le sujet est l’un des principaux éléments de la campagne du président américain Donald Trump pour l’élection présidentielle de 2016, à savoir la construction d’un mur entre le Mexique et les États-Unis en réponse à la crise de l’immigration qui fait rage.

La prestation de Zoli Mujahid fonctionne à merveille et imite parfaitement les tropes d’interprétation de Broadway. Sa voix puissante mais contrôlée affiche un large éventail de couleurs et de timbres qui saisit parfaitement le style satirique et changeant de la pièce.

L’orchestration démontre une fois de plus la capacité de Field à adopter de façon magistrale les propriétés stylistiques requises par la pièce tout en conservant sa signature personnelle.

L’album se poursuit avec un arrangement original pour soprano soliste et orchestre de la berceuse traditionnelle sépharade Durme, Durme, Kerido Ijiko. Après la satire de Let’s Build a Wall et la noirceur expressionniste des chansons de Neruda, cet arrangement apparaît comme un baume émotionnel grandement appréciée. La performance de l’orchestre est riche en couleurs et subtilités, offrant une toile de fond délicate à la prestation magnifique et sincère d’Orsi Sapszon.

Le morceau suivant, Let the Light Shine on Me, nous ramène au cadre intime du chœur a capella avec des solos vocaux dans un style gospel similaire à celui du morceau d’ouverture. Le Chœur de Budapest offre une performance encore plus subtile que dans By and by avec une couleur vocale chaude et une gamme dynamique extraordinaire. Les performances des solistes sont stylistiquement correctes du début à la fin et comportent de magnifiques éclats de voix.

Avant d’aborder l’œuvre finale, il convient de mentionner la superbe qualité de production de l’album, notamment dans le mixage. Il est relativement difficile pour des albums comportant un tel éventail d’instruments d’être cohérents et équilibrés dans leur sonorité, mais la grande clarté qui le caractérise et le fait que chaque partie est aussi vibrante qu’en direct, fait de celui-ci une œuvre tout simplement parfaite. 

La dernière œuvre de l’album est Chimneys, sonnets-realities. Il s’agit d’un cycle de chansons intimes pour baryton avec un accompagnement au piano. Les textes sont tirés du recueil Tulips and Chimneys de E.E. Cummings. On y trouve The Cambridge ladies who live in furnished souls; goodby Betty,don’t remember me; ladies and gentlemen, this little girl; when you rang, at Dick Mid’s Place; “kitty”. sixteen, 5’1”, white, prostitute; and when thou hast taken thy last applause. La poésie sombre d’E.E. Cummings est présentée de sorte à ce que chaque vers soit traité de manière propre, révélant ainsi le cheminement original de la pensée du poète.

Contrairement aux autres morceaux de l’album, cette œuvre a été enregistrée en direct, ce qui lui confère un intérêt d’écoute supplémentaire.

Musicalement, il s’agit de l’œuvre la plus audacieuse et la plus moderne de l’album. Avec un langage généralement expressionniste qui nous rappelle certains cycles de chansons du XXe siècle, tels que l’influent Pierrot Lunaire d’Arnold Schoenberg. Cependant, l’élément le plus remarquable du cycle n’est peut-être pas son enracinement dans des modèles préexistants, mais bien son originalité, notamment dans la manière dont chaque chanson (et poème) maintient le flux logique du cycle tout en apportant de nouveaux éléments.

Le point culminant de cette représentation est sans aucun doute l’extraordinaire travail vocal d’Edward Whalen. Une fois de plus, comme dans Pierrot Lunaire, Field entraîne le chanteur dans un changement constant d’émissions vocales, alternant des passages lyriques puissants avec de courtes déclamations rythmiquement vigoureuses voire même à une émission presque parlée, semblable à la technique du « sprechstimme » de Pierrot Lunaire.

Un autre aspect remarquable de l’interprétation de cette œuvre est la collaboration magistrale de la pianiste Veronica Tomanek, qui laisse toujours de la place à Whalen pour briller, tout en offrant une interprétation fortement enracinée et confiante, à la fois vigoureuse et parfaitement maîtrisée.

La mise en musique des mots par Field est extraordinaire dans le sens où il est capable de traiter une poésie extrêmement spécifique de manière respectueuse tout en mettant en valeur ses facettes.

Cet album est une réussite dans son ensemble, tant sur le plan musical que dans sa production, avec de superbes performances et un son exceptionnel. Un autre point qui le rend unique et indispensable à toute discothèque est la relative hétérogénéité stylistique dont Field fait preuve dans ses œuvres, une caractéristique qui en fait une sublime introduction au monde sonore du compositeur.

Nom de l’album : Vocal Works

Compositeur : Brian Field

Année de sortie : 2021

Interprètes (par ordre d’apparition) : Le Chœur de Budapest- Martón Tóth (Pistes 1 et 7) 

Orchestre de la Philharmonie nationale hongroise – Péter Illényi (Pistes 2-6)

Yanis Benabdallah (Pistes 2-4)

Zoli Mujahid (Piste 5)

Orsi Sapszon (Piste 6)

Edward Whalen – Veronica Tomanek (Pistes 8-13)

Éditeur : Navona Records

Longueur : 44:04 min. 

Informations concernant l’album :  https://www.navonarecords.com/catalog/nv6360/

Site Web de Brian Field :  http://www.brianfield.com 

Brian Field sur Spotify :

–Luciana Arroyo

Luciana Arroyo est un chef d’orchestre et un éducateur basé à Buenos Aires, en Argentine.

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